La maison de Jules Verne

Disparu il y a cent ans, l’auteur de «Vingt Mille Lieues sous les mers» a longtemps vécu à Amiens.

«Sur le désir de ma femme, je me fixe à Amiens, ville sage, policée, d’humeur égale, la société y est cordiale et lettrée. On est près de Paris, assez près pour en avoir le reflet, sans le bruit insupportable et l’agitation stérile.»

Voilà comment Jules Verne raconte son installation dans la Maison à la tour, en octobre 1882. Maison bourgeoise, elle est à l’image du quotidien de l’écrivain, devenu notable de province. Un étonnant contraste avec l’univers d’action et d’aventure qu’il crée dans ses romans.

A l’heure où plusieurs sites de France chers à l’écrivain (Paris, Nantes, Amiens) préparent des animations saluant le centenaire de sa disparition, la maison dans laquelle il vécut vingt-trois ans justifie une étape recueillie. Las ! Elle n’est ouverte que jusqu’à la fin du mois de mars. Ses propriétaires ont en effet choisi le moment précis où son illustre habitant était honoré pour engager d’importantes rénovations, qui ne s’achèveront qu’après les célébrations… Chacun jugera de cette pertinence.

Il ne reste donc qu’un peu plus de deux mois pour découvrir cette bâtisse dont la salle à manger et le salon témoignent d’une position sociale bien établie. Du moins pour madame Verne, car son époux préfère l’écriture et les voyages aux mondanités, qu’elle ne néglige jamais. De style néogothique, le genre fait alors fureur, la salle à manger a peu changé ; les boiseries bien cirées, la cheminée et la cathèdre de chêne sculpté en font une pièce à la fois chaleureuse et cossue. Le salon a gardé plusieurs de ses éléments d’origine : la cheminée de marbre blanc surmontée d’un miroir, l’horloge bleue, petit bijou de style Louis-Philippe, qui fonctionne toujours, le parquet soigneusement ciré…

Dans ce décor aux murs enrichis de dorures, Honorine Verne recevait chaque mercredi soir d’hiver. Ses invités venaient présenter romances et compositions musicales. Parfois, le maître de maison se mettait lui-même au piano, instrument dont il jouait fort bien. Mais la plupart du temps, il préférait se retirer tôt, afin de commencer sa journée d’écriture dès 5 heures du matin.

Le 8 mars 1885, la maison accueille près de deux cents convives pour un bal costumé sur le thème de la Grande Auberge du Tour du monde en quatre-vingts jours : clin d’œil à l’imaginaire vernien assez inattendu dans ces pièces très «rangées».

Le «Voyage extraordinaire» dans cette demeure commence avec le bureau où ont été écrits quelque quarante romans, parmi lesquels Robur le Conquérant, Mathias Sandorf, L’Étoile du Sud… Reconstitution fidèle (le bureau d’origine ainsi que la bibliothèque se trouvaient au deuxième étage), il donne lui aussi sur… la voie ferrée. Un moyen de transport moderne, symbole d’évasion, mais dont la fumée indisposait l’écrivain. Un passage mystérieux (chaque visiteur a la surprise de le découvrir !) fait basculer dans l’univers de la science-fiction. La pièce Vingt Mille Lieues sous les mers où les maquettes du Nautilus et de l’infortuné Great Eastern, inspirateur de Une ville flottante, met en scène les multiples adaptations et créations, du cinéma jusqu’à la bande dessinée, qui perpétuent aujourd’hui encore l’œuvre de Jules Verne. Au centre, clin d’œil au Château des Carpates : l’auteur, à l’image de son héroïne, la Stilla, apparaît grâce à un astucieux hologramme où il se trouve mis en scène aux côtés de Niel Amstrong qui réalisera au siècle suivant le rêve de voyager De la Terre à la Lune.

Étrange maison qui accueille ses hôtes dans un décor très classique, pour les conduire au cœur d’un monde qui n’en finit pas d’anticiper sur son avenir.

Un surprenant raccourci dans l’espace fait traverser le temps comme dans un roman, puis revenir vers le passé dans la cour pavée dominée par une drôle de tour – elle donne son nom à la maison – à l’allure baroque (elle n’abrite qu’un simple escalier !) où le prunier défie les âges sans faillir.

Écrivain forcené, Jules Verne était aussi un citoyen actif de sa ville d’adoption. Conseiller municipal d’Amiens pendant dix-huit ans, il s’intéressa de près à son théâtre et surtout à l’urbanisme. Il fit construire un cirque en dur, devenu depuis une salle de spectacle. Pour honorer sa dernière demeure (l’écrivain repose au cimetière de la Madeleine), Albert Roze a réalisé une sculpture qui représente le magicien du futur, la main tendue vers le ciel. Un geste d’immortalité pour une œuvre qui à jamais lui survit.

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